Polybe avait évalué les pertes de l'armée d'Asdrubal à 10.000 hommes de tués, et à environ moitié autant de prisonniers ; il ne parle nullement de fuyards. L'armée gallo-carthaginoise tout entière n'aurait donc été composée que d'environ 15.000 hommes : et cette faiblesse numérique ne doit pas étonner, quand on considère qu'Asdrubal n'amenait avec lui que les débris d'une armée vaincue en Espagne par Scipion, avec les Gaulois de bonne volonté qui s'étaient joints à lui dans sa marche. — Or, Tite-Live porte le nombre des ennemis tués à 56.000, et celui des prisonniers à 5.400 : ce qui ferait une perte totale de 61.400 hommes ; et il parle encore d'un grand nombre de fuyards. On voit jusqu'à quel point il a exagéré les forces d'Asdrubal et les pertes éprouvées de son côté à la bataille du Métaure. Aussi s'écrie-t-il que jamais dans cette guerre on n'a tué tant d'ennemis dans une seule bataille, et qu'on leur rendit ici la pareille du désastre de Cannes !(XXVII, XLIX.) C'était là sans doute qu'il en voulait venir. Et la famille d'Auguste dut se trouver assez flattée de posséder parmi ses ancêtres un guerrier tel que Claudius Néron. Et le peuple romain, de son côté, put se flatter d'avoir, sur le Métaure, pris sa revanche de la bataille de Cannes, et de s'être là sauvé lui-même dans cette guerre d'Hannibal, loin d'avoir été sauvé par le dévouement persévérant de ses alliés du centre de l'Italie : alliés qu'il put ensuite, sans aucun scrupule, tailler en pièces avec cinq armées à la fois dans la guerre sociale. (Florus, III, XVIII.)

On voit à quel point, avec quelle liberté et dans quelle tendance romaine ce récit de Tite-Live concernant la bataille du Métaure fourmille de détails invraisemblables, et avec quelle habileté, quelle ruse profonde l'auteur s'est efforcé d'altérer par ces détails la vérité fondamentale du récit de Polybe, qu'il reproduisait pour le gros des faits et qui était connu à Rome. On en doit conclure que ces deux récits sont inconciliables, et que, seul, celui de Polybe (dont malheureusement nous n'avons qu'une partie) mérite créance en histoire.